Les retraites: un enjeu de société fondamental (4)Pour un financement élargi des pensions

Les retraites: un enjeu de société fondamental (4) / Pour un financement élargi des pensions
 Photo: dpa/Lino Mirgeler

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Au Luxembourg, les pensions du régime général d’assurance pension sont financées à travers des cotisations sur le revenu professionnel des cotisants, à raison de 8% pour les assurés, de 8% pour les patrons et de 8% pour l’Etat. Le taux de cotisation global est donc actuellement de 24%. L’assiette de cotisation s’étend actuellement du salaire social minimum (SSM) à 5 fois le SSM.

Il n’est écrit nulle part qu’il faut en rester là une fois pour toutes avec le financement des retraites. C’est le résultat de décisions politiques et ce résultat a évolué au fil du temps et il varie d’un pays à l’autre. A noter par exemple que les pays scandinaves financent leur système de retraite essentiellement à travers les impôts.

Un raisonnement purement mathématique, voire de parti pris

Si la ministre de la Sécurité sociale dit dans l’interview parue au Lëtzebuerger Land du 5 janvier dernier: „Nous avons toujours affaire à de l’argent qui entre et à de l’argent qui sort. S’il en sort plus qu’il n’en rentre, on finit par ne plus en avoir“1), elle argumente en tant que mathématicienne, et cela dans le cadre des lois actuelles. Elle en est bien consciente, puisqu’elle ajoute: „On comprend qu’il est nécessaire d’aborder le problème dans sa globalité et d’impliquer toutes les parties dans la recherche d’une solution.“2) En effet, suivant l’expression „dans sa globalité“, il faudra ouvrir la voie à des solutions hétérogènes et multiples et ne pas rester confiné dans le cadre strict du système existant et de la philosophie patronale.

En poursuivant par: „Je n’exclus pas une augmentation des cotisations. Peut-être qu’une augmentation des cotisations pourrait faire partie d’un compromis plus large.“3) La ministre entend faire preuve d’une certaine ouverture. Elle sait pourtant très bien que d’après l’article 219bis introduit via la loi de réforme de l’assurance pension de 2012, une hausse des cotisations au-delà de 24% aura pour conséquence l’abolition de l’allocation de fin d’année égalitaire pour toutes et tous, de l’ordre de 950 euros fin 2023. Ce qui correspondrait à une renonciation unilatérale de la part des retraités. Et la ministre enfonce le clou en s’emparant des jeunes actifs, qui selon elle ne voudraient pas cotiser davantage: „Mais je ne suis pas sûre que les jeunes actifs accepteraient des cotisations plus élevées.“4) Nul n’ignore pourtant que l’opposition contre une augmentation des cotisations vient surtout du monde patronal et que le nouveau gouvernement y est foncièrement opposé aussi, compétitivité économique mise en avant.

A noter qu’au cours des années 1980 existait un accord unanime entre le gouvernement et les partenaires sociaux, de relever en cas de besoin le taux de cotisation global au moins jusqu’à 30%.5) Mais le néolibéralisme est passé par là et le gouvernement actuel embrasse l’idéologie de la réduction des coûts sociaux et fiscaux, nonobstant les faits.

Renforcer le premier pilier

Ce qui est clair: la ministre de la Sécurité sociale et le gouvernement actuel, en accord avec le patronat, prônent un renforcement du 2e et du 3e pilier pour financer les retraites. Le poids relatif du régime général (1er pilier) serait ainsi réduit et on permettrait aux nantis de tirer leur épingle du jeu, minant ainsi le principe de base de la Sécurité sociale, qui est la solidarité, et allant à contresens de la réalité macroéconomique qui fait que l’on consomme toujours maintenant la richesse produite maintenant (voir à ce sujet l’article „Le coup de baguette magique du financement privé des retraites“).

Renforcer le 1er pilier à travers un financement élargi est évidemment diamétralement opposé à cette stratégie.

A étudier le graphique ci-dessous, provenant de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) qui est le service statistique ministériel français dans les domaines de la santé et du social, on voit que les cotisations sociales à charge des employeurs du Luxembourg comptent parmi les plus faibles d’Europe.

Ce graphique montre aussi deux cas extrêmes, celui du Danemark, où la Sécurité sociale est financée essentiellement par l’impôt, et celui de la Roumanie, où les salariés supportent la plus grande partie de la charge.

Moyens d’élargissement de la base de financement du 1er pilier

Au vu de ces données, l’augmentation des cotisations peut apparaître comme une option réaliste au Luxembourg à partir du moment où la réserve, qui en décembre 2022 a dépassé 4,3 fois les dépenses annuelles en pensions versées, tomberait au-dessous du seuil légal de 1,5 fois le montant annuel des prestations. D’après le scénario restrictif de croissance établi en 20226), ce serait le cas en 20417). Pourtant, afin d’éviter que le réajustement des pensions à l’évolution des salaires ne soit affecté par un déficit du régime général d’assurance pension (tel que cela est prévu par l’intermédiaire de la loi de réforme de l’assurance pension de décembre 2012), on pourrait adapter cette loi en intégrant dans les recettes du calcul de la prime de répartition pure aussi les recettes financières du Fonds de compensation.

En attendant, afin de prévenir un déficit du régime général d’assurance pension (prime de répartition pure inférieure au taux de cotisation global de 24%), il existe d’autres moyens permettant d’élargir la base de financement des retraites. Le tableau suivant montre que la compétitivité de l’économie luxembourgeoise est bien assurée quant à l’ensemble de la matière cotisable et fiscale.

Parmi les moyens d’élargissement du financement des retraites via le 1er pilier, il y a:

– le déplafonnement des cotisations au-delà de 5 fois le SSM

28.035 personnes, soit 5,0% des cotisants ont dépassé en 2022 le plafond annuel correspondant à cinq fois le salaire social minimum. Le montant des cotisations engendrées par la part de la masse salariale constituée des montants dépassant le plafond cotisable aurait été de 676 millions d’euros, soit environ 10% des recettes courantes de la Caisse des pensions en 2022.8)

Le déplafonnement ne doit pas nécessairement impliquer une augmentation des droits à pension puisque statistiquement les personnes qui gagnent des revenus élevés bénéficient d’une espérance de vie plus longue que les cotisants à revenus faibles et qu’elles percevront donc une pension pendant plus longtemps. Des taux de cotisation progressifs pourraient être une voie médiane.

– le prélèvement de la cotisation-pension aussi sur les heures supplémentaires et leur majoration (exemptes depuis le 1.1.2008)

En principe tous les éléments de revenu devraient être soumis à cotisation. Il y a donc lieu d’annuler les mesures décidées dans le cadre de l’introduction du statut unique au sujet des éléments non cotisables. Celles-ci ont pour conséquence une réduction de la pension, surtout pour les personnes qui font beaucoup d’heures supplémentaires respectivement qui ont un horaire de travail non régulier et des rémunérations liées à leur performance. D’ailleurs il y a lieu d’intégrer tous les extras dans le salaire de base pour éviter des injustices.

– l’inclusion de toutes les périodes de formation ou de stage comme périodes complémentaires

Cela au-delà de celles inscrites dans la loi de réforme de décembre 2012 (entre 18 à 27 ans), tout en y appliquant le paiement de cotisations. Il s’entend qu’il faudra parallèlement revaloriser les allocations estudiantines ou de stage du montant de ces cotisations.

– l’extension de l’assiette de cotisation au-delà du salaire brut

Il s’agit de viser également les revenus du capital, qui ne sont pas soumis aux cotisations sociales, alors que ce sont les salariés qui sont à l’origine de la production et des revenus engendrés; cela permettrait de mieux répartir les gains de productivité; Il est à noter que le Luxembourg dispose d’une faible part salariale au sein de l’Union européennes (voir à ce sujet l’article „La hantise d’un poids démesuré du régime général de pension public“).

– l’augmentation de la part de l’Etat

A remarquer pourtant que cela conduirait à une plus grande fiscalisation de la Sécurité sociale, à priori critiquable, puisqu’elle affaiblit le poids des salariés dans la gestion de la Sécurité sociale et comporte le risque de réduction des cotisations patronales. Il y a plus de transparence pour l’affectation des cotisations sociales qui sont destinées à un but défini, c’est-à-dire l’assurance sociale, et qui sont gérées par les assurés eux-mêmes – même si cette gestion est de plus en plus compromise dans la réalité.

– l’intégration des assurances complémentaires dans le régime général de pension 

– l’introduction d’une taxe de transaction financière

Ces nouvelles recettes devraient entrer en jeu pour le financement des pensions dès que le solde du régime actuel deviendra négatif (estimation: 2027).

L’emploi et les salaires comme pilier central du financement des pensions

Toute politique sociale progressiste et donc aussi toute réforme solide de l’assurance pension repose sur le plein-emploi. Il est évident que dans un système par répartition, le financement des pensions passe essentiellement par les cotisations des actifs. La réduction de la part relative des salaires dans le PIB, notamment par l’augmentation du chômage, la propagation de conditions de travail précaires et – au Luxembourg spécialement – l’épuisement des flux de main-d’œuvre frontalière contrecarrent ce financement.

Il faudra réagir à l’augmentation actuelle du chômage en menant des programmes de formation de la main d’œuvre, notamment aussi en perspective de l’influence de l’intelligence artificielle sur le travail et garantir l’attractivité de l’emploi au Luxembourg pour les frontaliers, à travers une amélioration des communications et une hausse du salaire minimum.

Une réduction de la durée de travail légale sans perte de salaire est la pierre angulaire pour retourner au plein-emploi. C’est elle qui permettra de créer massivement des emplois et qui remettra les syndicats en position de force susceptible d’éliminer le travail précaire, de faire passer des revendications salariales d’envergure et d’augmenter la part des salaires dans la valeur ajoutée.

Mettre en question la réserve légale et le Fonds de compensation

La règle de réserve légale inscrite dans la loi luxembourgeoise demande que la Caisse nationale d’assurance pension dispose à tout moment de 1,5 fois le montant des prestations. Fin 2022, la réserve a dépassé 4,29 fois les dépenses annuelles en pensions versées et elle apparaît dès lors comme une garantie du régime général d’assurance pension. Or, il n’en est rien! Les revenus de la réserve permettront certes de repousser le déficit de la Caisse de pensions. Mais une fois que le solde du régime actuel deviendrait négatif (à partir de 2027 environ suivant le scénario de croissance restrictif envisagé dans le bilan 2022) et que la réserve tomberait en dessous de 1,5 fois les recettes (à partir de 2041 suivant ce même scénario), il faudrait non seulement combler le trou „recettes-dépenses“, mais encore maintenir la réserve à son niveau inscrit dans la loi. La réserve deviendrait alors un boulet.

Dès lors, il est opportun de réfléchir à une abolition, voire une réduction de la réserve légale. C’est ce que fait la Chambre des Salariés dans une note de réflexion en 20179): „Ce faisant, la suppression de la réserve légale ferait entrer le régime dans une répartition pure une fois qu’elle aura été épuisée. Cette réserve est en effet la source d’une contrainte financière additionnelle à la question du vieillissement, contrainte qui aggrave en outre les projections.“ Question vieillissement, la même note invoque la forte augmentation du nombre de bénéficiaires de pension jusqu’à 3,5% l’an dans les années 2020 suivie d’une nette tendance à un ralentissement de cette croissance (sous les 2% annuels) qui se dessine ensuite, le système arrivant à maturité.10)

Quelles conclusions tirer de tout cela?

– La réserve ne pérennise pas le régime général d’assurance pension, bien au contraire. C’était pourtant l’argument essentiel de la loi du 6 mai 2004 sur l’administration du patrimoine du régime de pension. On y déplorait la faible rentabilité des placements et l’étude de PwC (2001) sur laquelle se base la loi, formulait une stratégie de placements visant „une croissance durable des valeurs ainsi qu’un renforcement de la réserve“. Or en 2022, le Fonds de compensation a fait une perte nette de 3,15 milliards d’euros, due à des performances négatives tout aussi bien sur les marchés des actions que des obligations. Au total, pour les années 2013 à 2022, les recettes provenant de la réserve se sont élevées à 9,2% des recettes courantes (CNAP+FdC).

– La réserve se révèle comme un cul-de-sac pour le système de répartition et comme une ouverture vers une capitalisation des cotisations de retraite à faire valoir sur le marché financier international. Une telle ouverture n’est pas seulement dangereuse: l’engagement de la réserve du régime général d’assurance pension dans un fonds d’investissement se baladant sur le marché financier international expose celui-ci à des risques à ne pas prendre. Elle est aussi contraire à l’éthique des syndicats, qui sont à l’origine d’un système de pensions solidaire: participer avec les cotisations de la Sécurité sociale à la grande foire des marchés financiers consiste à approuver dans les actes ce qui s’y passe depuis la dérégulation mondialisée des flux de capitaux: la spéculation, la réalisation de profits faciles, le dépeçage d’entreprises performantes victimes du financement d’acquisition par emprunt (leveraged buyout – LBO), donc l’asservissement de l’économie réelle et de ses salariés aux intérêts du capital financier. Face à cet état de fait, l’investissement de la réserve de la Sécurité sociale dans l’économie nationale au lieu de l’investir sur les marchés globaux a toujours été et reste une revendication de poids. Elle pourrait ainsi contribuer à socialiser durablement l’économie par ce biais, p. ex. au niveau du logement ou de l’économie solidaire.

– La notion de réserve entretient l’illusion que les cotisations d’aujourd’hui seraient stockées/placées afin de servir plus tard à payer les pensions. On s’éloigne ainsi du „fonctionnement historique des systèmes de retraite socialisant le salaire“11) et on embrasse l’idée que les cotisations seraient un revenu différé auquel on aurait droit uniquement en fonction des cotisations payées au préalable.


Guy Foetz est économiste
Guy Foetz est économiste Photo: Editpress/Fabrizio Pizzolante

1) Version originale dans l‘interview publiée au „Lëtzebuerger Land“ du 5.1.2024: „Wir haben es immer mit Geld zu tun, das reinkommt, und mit Geld, das rausgeht. Geht mehr raus, als reinkommt, hat man irgendwann keines mehr.“

2) Version originale: „Es wird verstanden, dass es nötig ist, das Problem ganzheitlich anzufassen und alle Seiten an der Suche nach einer Lösung zu beteiligen.“

3) Version originale: „Beitragserhöhungen schließe ich nicht aus. Vielleicht kann eine Beitragserhöhung Teil eines größeren Kompromisses sein.“

4) Version originale: „Aber ich bin mir nicht sicher, ob die jüngeren Aktiven erhöhte Beiträge akzeptieren würden.“

5) Rapport du GT Pensions de l’IGSS de mai 2018, page 15.

6) IGSS, Bilan général 2022, pp. 58.

7) Ibid.(6), p. 54

8) Données tirées de la réponse de la ministre de la Sécurité sociale à la question parlementaire no N°365 du député Marc Baum en date du 20.2.2024.

9) Note de réflexions et de propositions de la CSL concernant le bilan technique 2016 de l’IGSS et la viabilité à long terme du régime général de pension, CSL, 09/2017, page 12.

10) Ibidem, pages 9 et 13.

11) Yann Le Lann, Le modèle suédois des retraites: le cheval de Troie de la patrimonialisation, les notes de l’IES, no 6, 2009.