L’histoire du temps présent25 de abril, sempre!

L’histoire du temps présent / 25 de abril, sempre!
„Porte de la liberté“, de Alberto Vieira. Sculpture représentant une porte entrouverte avec 50 œillets sculptés, à Avenida da Liberdade à Braga, Portugal. Photo: Heidi Martins

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Le 25 avril 1974 est une date emblématique de l’histoire du Portugal, marquant le jour où un coup d’État militaire renversa le régime fasciste, qui se nomme soi-même Estado Novo (État nouveau), et qui avait gouverné d’une main de fer le pays pendant près de 50 ans en le conservant arriéré, fermé, analphabète. 

La population y subissait une répression politique, économique, culturelle. Leurs corps surveillés, leurs idées censurées, leurs vie empêchées, il ne leur restait que l’exil. Connu sous le nom de Révolution des Œillets, cet événement a entraîné la fin de la dictature, ouvrant la voie à des réformes politiques, sociales et économiques radicales. Plus que de l’observer en tant que moment mémorable de l’histoire portugaise, notre expérience sur le terrain nous poussera ici à soulever quelques questions, notamment en quoi l’expérience migratoire pourrait impacter le regard de la communauté portugaise sur cette Révolution, en particulier à travers les générations.

Le 25 avril 1974 est une date gravée dans les mémoires portugaises comme un symbole de liberté, de renouveau et de résistance, mais dans quelles mémoires? De celles et ceux qui ont traversé ce qui fut l’un des plus longs régimes autoritaires au XXe siècle en Europe et qui en ont gardé l’empreinte sensible, dans leurs corps et dans leurs esprits. Une génération qui, doucement, s’éteint et qui bientôt ne sera plus la mémoire vive de ces évènements. Et pour les générations qui s’ensuivent, qu’est-ce le 25 avril 1974? Un événement historique lointain? L’histoire semble avoir le don de ranger les choses. Quelque part, son étude apparaît comme un lieu de stabilité, son temps est défini, immuable, éternel, cohérent. Le corps et l’esprit ne sont plus marqués de la même façon. La force des leçons apprises s’estompe au rythme des générations qui s’envolent.

Le 25 avril 1974 est une révolution en cours. Si l’histoire est rangée, le présent, lui, s’impose de toute force, son chaos, son imprévisibilité. Le présent est par définition dur à vire. À la différence de tous ces jeunes qui, à la veille du 25 avril 1974, croyaient au futur, croyaient en un avenir meilleur, de liberté et de démocratie, et faisaient de leur espoir et de leur solidarité les armes communes du changement, les jeunes d’aujourd’hui se sentent impuissants, manquent de futur, manquent d’espoir. Or, sans espoir, nulle révolution, nul futur. Tel le chant des sirènes, naît alors une envie tentatrice, alimentée d’une nostalgie dangereuse, celle de vouloir rétablir un „ordre perdu“. Un piège, puisque souvent, elle n’est qu’illusion.

Lunettes teintées

Le 25 avril 1974, c’est maintenant! Le passé est passé et nous ne pouvons pas en faire réellement l’expérience. Tout se passe comme si nous ne pouvions pas tirer de véritables leçons de l’histoire. Les récentes élections législatives au Portugal ont donné lieu à un changement notable dans le paysage politique, avec une nette poussée vers l’extrême droite représentée par un parti fasciste qui crie „ça suffit!“: ça suffit le progrès, ça suffit l’égalité des genres, ça suffit le droit du travail, ça suffit d’un système national de santé, ça suffit de liberté, de démocratie, d’ouverture aux autres, à l’Europe et au monde. Parmi les ressortissants portugais au Luxembourg, ce même parti arrive en tête des élections. Il ne faudra pas chercher à comprendre ces résultats auprès d’une première génération dont une grande partie de ses membres est arrivée „a salto“, fuyant la pauvreté e la répression. C’est auprès de leur descendance, choyée, qui, entre promesses et frustrations, se laisse porter par le chant de la sirène. Il est facile de succomber à la tentation de voir le passé à travers des lunettes teintées de nostalgie, de glorifier les héros et de simplifier les luttes complexes en récits linéaires. À faire, soyons nostalgiques du 25 avril, de cette date où le peuple sortit dans la rue et remporta la victoire! Soyons nostalgiques d’un Portugal libre, démocratique.

Le 25 avril 1974, sempre! „Sempre“, ce mot portugais qui résonne comme un écho à travers les décennies, se traduit littéralement par „toujours“, il évoque une continuité qui transcende les frontières du temps, mais aussi de l’espace. Aujourd’hui, les valeurs démocratiques fondamentales sur lesquelles l’Union européenne a été fondée sont menacées par ces partis politiques populistes, xénophobes et nationalistes. La démocratie se fait en continu, et c’est à chaque génération de défendre et de protéger les valeurs démocratiques chèrement acquises. Que „les portes ouvertes par avril“ ne se referment jamais!

Heidi Martins est sociologue au Centre de documentation sur les migrations humaines à Dudelange, Luxembourg. Commissaire et chercheure responsable du projet „Moving Lusitalia“ (ESCH2022), lors duquel elle a mené une étude de terrain auprès de la communauté portugaise de Dudelange. Sa thèse de doctorat ayant également porté sur les sentiments de (dés)appartenance des Portugais de „seconde génération“ au Luxembourg (2014-2019).

 Photo: Heidi Martins