MusiqueUn Krautrock à la fois sérieux et loufoque: The Germans se produisent au „Gudde Wëllen“

Musique / Un Krautrock à la fois sérieux et loufoque: The Germans se produisent au „Gudde Wëllen“
The Germans proposent un Krautrock à la fois improvisé et sophistiqué, discipliné et insolent Photo: abconcerts.be

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Avec leur Krautrock remis au goût du jour, The Germans passeraient presque pour des Allemands. Sauf que non, ils sont Belges, malgré leur son et leur nom. Ce samedi, le quintette joue au „De Gudde Wëllen“: c’est l’occasion de revenir sur ces bidouilleurs intrépides, dignes héritiers de Brainticket, Ash Ra Tempel ou Tangerine Dream.

Avant tout, il ne faut pas confondre The Germans, groupe belge, et The Germans, combo canadien indie, cousins musicaux de Pavement. Cela dit, le nom The Germans d’emblée désoriente, comme Stockholm Monsters, un groupe anglais n’ayant jamais mis les pieds en Suède, là où I’m From Barcelona n’a rien à avoir avec l’Espagne puisqu’il s’agit d’un collectif … suédois. The Germans restent le plus allemand des groupes belges. Il est la preuve que la double nationalité peut aussi s’acquérir lorsque l’on a un pied dans un autre pays par le biais de l’art; ici, il est possible d’être né au pays de l’Electronic Body Music et de choisir le Krautrock en tant que genre d’adoption.

Fondé à Gand en 2002, The Germans est un quintette dirigé par Jakob Ampe: si à l’origine, sa musique navigue entre noise et jazz rock, ce n’est que le début d’un écho „kraut“, robuste, illimité. En 2009, „Grote Meneren/Straffe Madammen“ joue dans la cour expérimentale, alors qu’à partir de „Are Animals Different“ (2015), The Germans se rapproche, sans l’ombre d’une équivoque, de ses cousins germains. Jusqu’à devenir des frères de son.

Il faut rappeler que le nom, Krautrock, ne vient pas du pays d’où le genre émerge puisqu’il apparaît pour la première fois en 1972 dans un article du magazine anglais NME consacré au rock allemand, alors au zénith de sa créativité et en pleine explosion. L’appellation ne naît toutefois pas dans un chou mais via Amon Düül et son album „Mama Düül und ihre Sauerkrautband“ („Maman Düül et son orchestre choucroute“). Et le terme d’être très vite récupéré pour désigner la globalité du rock allemand. Si le Krautrock a sa nationalité, il possède aussi une identité, musicale. Parallèle, en termes de temporalité, au prog, le „kraut“ s’écoute comme le fruit d’expérimentations psychédéliques, version métronomique; il absorbe le free jazz et mixe dans son shaker rock et sonorités ethniques, en plus d’utiliser des bandes magnétiques de Stockhausen, tout en étant un peu, parfois, le rêve prémonitoire du punk. Même si les groupes qui se retrouvent dans cette catégorie s’avèrent très différents, le Krautrock manie les paradoxes: il est improvisé et sophistiqué, répétitif et imprévisible, direct et bourré de collages, sérieux et loufoque, drogué et austère, discipliné et insolent, world et allemand. Tous ces attributs font plus qu’écho à The Germans.

Physique et spirituel

Le disque „Sexuality“ (2019) peut rappeler, dans le geste, „Cottonwoodhill“ (1971) de Brainticket, groupe qui n’est pas allemand non plus, mais suisse. Conçu dans l’intention de reproduire l’état d’un trip sous LSD, l’album contient un riff de guitare répété pendant trente minutes, mais aussi du tintamarre harmonieux (ou disgracieux, c’est selon), une sirène, un klaxon, le son de la foule, de bruits de pneus, de voiture, de marteau-piqueur, sans oublier un sample de l’introduction de la „Symphonie n°7“ de Beethoven. Dans „Sexuality“ de The Germans, il y a de la langueur, un beat qui claque comme un coup de sangles ou un cœur. Enregistrées parfois en une prise, telles un plan-séquence musical, certaines pièces font l’effet de l’eau en train de frémir, et d’un coup, sans prévenir, jaillit une polyphonie façon orgie vocale. The Germans jouent sur la répétition et les variations, à mi-chemin entre gestes mécaniques et nuances progressives, comme dans l’acte. Se loge encore des bruits de sabres, des gargouillis de cordes qui s’entremêlent, des notes de piano discrètes comme des perles sur un lac, en plus de cette voix qui passe du murmure menaçant à la caresse consolatrice, ainsi que des échos sans miroir, des vocaux brouillés, des cris de douleur et de plaisir confondus. Dans „Cottonwoodhill“ de Brainticket, la voix de Dawn Muir virait à l’orgasme sur „Part I“, un procédé chaud et provocant appliqué bien avant que Guns N’ Roses le mettent en œuvre dans „Rocket Queen“ (1987), bien avant encore „Love To love You Baby“ de Donna Summer (1975) ou Loredana Bertè et „Marrakech“ (1974). Donc: bien avant les soupirs extatiques entendus dans l’album de Sébastien Tellier nommé … „Sexuality“ (2007). Là où Sébastien Tellier évoquait l’idée de trouver les notes „à destination du bassin“, The Germans sont dans la quête de transe; il y a cette volonté de taper dans les zones cérébrales, n’oubliant pas que l’organe du plaisir est le cerveau.

L’album qui suit s’intitule „Spirituality“ (2024), comme „My God is Blue“ (2011) pour Tellier succède à „Sexuality“. Même si la pochette de The Germans montre un fruit (non défendu) qui ressemble à des fesses, „Spirituality“ est un concept-album de musique pour prier. Les ingrédiens? Des voix qui ressemblent à celles de l’inconscient („Take a Deep Breath“), des percussions de type vaudou, un piano préparé, des claviers (et pas n’importe lesquels: les premiers synthétiseurs numériques) ainsi que des arrangement de cor d’harmonie du plus bel effet. Tout n’est qu’apaisement, comme après l’amour. On pense encore au krautrock. Des disques comme „Ash Ra Tempel“ (1971) et „Schwingungen“ (1972) proposent en face B des plages planantes qui vont devenir l’une des caractéristiques du krautrock, appelé aussi kosmische musik. Avec „Schwingungen“, Manuel Göttsching et Harmut Henke d’Ash Ra Tempel disent avoir trouvé le son du Paradis. The Germans aussi avec „Spirituality“.

The Germans

Ce samedi 27 avril à 20.30 h au „De Gudde Wëllen“ (17, rue du Saint Esprit, L-1475 Luxembourg-ville).