Premier romanBastien Hauser: „Ce qui m’intéresse ici, c’est la frontière où la science et la fiction se confondent“

Premier roman / Bastien Hauser: „Ce qui m’intéresse ici, c’est la frontière où la science et la fiction se confondent“
 Photo: E. Comte

Pour s’arrêter un instant sur un livre parmi tous ceux qui sont propulsés sur le marché littéraire tels des particules dans un centre de recherche, il faut être happé par ses ondes gravitationnelles. C’est ce que fait „Une Singularité“, premier roman de Bastien Hauser récemment paru chez Actes Sud.

Tageblatt: Il y a dans votre roman un univers à la fois pop culture et scientifique, j’imagine que vous avez dû faire pas mal de recherches au cours de l’écriture?

Bastien Hauser: L’astronomie, c’est une fascination que j’ai depuis adolescent, je lisais des livres de vulgarisation astronomique, c’est un passe-temps un peu geek que j’avais, donc j’avais une connaissance assez générale de ça. Ce qui m’intéresse ici, c’est la frontière où la science et la fiction se confondent, cette limite après laquelle la science devient juste une autre histoire que l’on se raconte. Mais ça ne veut pas dire que la science n’est pas quelque chose de précis, qui nécessite des recherches. J’ai passé beaucoup de temps sur internet et j’ai lu plusieurs livres écrits par des spécialistes.

On sent dans votre écriture une mise à distance de la science, une sorte d’attachement à ce à quoi elle n’aurait pas fait attention.

Oui, tout à fait, ça a été l’angle d’attaque principal. J’ai remarqué que lire de la fiction ou des théories scientifiques engageait les mêmes réactions de fascination chez moi, les mêmes possibilités d’imaginaire. Donc il devait y avoir quelque chose d’assez similaire entre les deux. Je me suis intéressé à comment on pense la science aujourd’hui. Après la démocratisation d’internet et l’accessibilité à la connaissance qui en découle, on a comme un nouveau type de perception de la réalité. Sur internet, on peut faire des collages et reconstituer des réalités scientifiques, politiques, philosophiques et spirituelles à partir de plein de petits éléments, d’informations anecdotiques, qu’on viendrait piocher dans un pool d’informations immense pour construire notre propre vision du monde. C’est un peu ce processus-là que suit le personnage d’Abel, il accepte qu’il a le pouvoir de décider ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas.

Dans la deuxième partie, il y a une scène où Abel essaie de briser le verre insonorisé de sarcophages pour pouvoir écouter les momies qui sont derrière. Qu’est-ce que peuvent nous raconter les momies?

Je ne sais pas trop et il n’y a d’ailleurs pas de réponse dans le texte. J’ai voulu démultiplier les trous noirs, c’est le but de la deuxième partie: introduire une nouvelle réalité, pas si différente de la première, mais qu’est-ce qu’on y voit d’autre? Ce que j’aime bien, c’est l’idée qu’il y a pleins de petits gouffres dans lesquels il y aurait une connaissance à la fois absolue et débilitante. On pourrait y jeter un coup d’œil et tout comprendre. Les momies signifient ça. Peut-être que loin du cosmos, ici sur Terre, il y a aussi des choses qui nous dépassent totalement.

Vous parlez aussi beaucoup de la langue et d’une opposition à une communication directe. Quel est votre rapport à la langue en tant qu’écrivain?

La langue est le moyen d’expression avec lequel je suis le plus à l’aise et que j’utilise de manière professionnelle pour écrire, en même temps j’ai l’impression que je ne comprends pas du tout comment la langue fonctionne et que je n’arrive jamais à exprimer ce que je voudrais. C’est paradoxal parce que je crois que la langue est à la fois très puissante et très éphémère. Les mots que l’on utilise et les histoires que l’on raconte peuvent créer des réalités et définir le monde, mais dès que l’on arrête de parler, ça n’a plus aucun sens. Ce côté éphémère de la langue me fascine, c’est probablement pour ça que j’aime bien écrire pour le théâtre et des performances.

Vous co-organisez les lectures Et caetera, où de nombreux écrivains viennent partager leurs textes dans un format assez horizontal, qu’est-ce que ça représente pour vous, ce lieu d’échange?

C’est super précieux. Etre auteur est assez particulier, on écrit des livres qui sont distribués et les rapports avec les lecteurs et lectrices sont peu directs. Et caetera, c’est non seulement un espace où le partage du texte redevient plus instantané et où on peut échanger sur les pratiques littéraires, mais en plus de ça, ça permet de se sentir moins seul. Il y a quelque chose de très beau dans le fait d’être entouré de gens qui écrivent. Je pense que ça apparaît dans le livre parce qu’Abel est quelqu’un qui, bien que solitaire, traine tout le temps avec des gens. C’est quelque chose qui découle pour moi de l’équilibre que j’ai réussi à trouver à Bruxelles, entre la solitude du texte et un être ensemble de l’écriture. C’est vertigineux de publier un premier roman, mais c’est rassurant de me dire que j’écris avec et pour ces personnes autour de moi.

L’auteur

Né en Suisse en 1996, Bastien Hauser est diplômé du master Textes et création littéraire de l’École nationale supérieure des arts visuels de La Cambre à Bruxelles. „Une singularité“ est son premier roman.

„Une singularité“

Lorsque, quelques jours après son AVC qui semble avoir produit étonnement peu de dégâts, Abel Fleck observe le disque d’accrétion aux contours orangés flous et asymétriques de M87*, premier trou noir pris par une équipe scientifique en avril 2019. Il croit y voir exactement la tache de sang reproduite sur la radiographie de son cerveau et il est pris d’une certitude obsessionnelle que ces deux événements seraient liés. En proie à des troubles inquiétants et une paranoïa grandissante, il s’éloigne de ses amis vers une réalité autre et toujours plus étrange, comme si tout son être, et avec lui tout l’univers, passait de l’autre côté de l’horizon des événements.

Partant d’un des plus grands paradoxes de l’univers, „un point dans le monde où le monde disparaît“, „Une singularité“ est un roman riche et complexe qui d’une métaphore tissée verse dans le fantasque pour questionner le découpage du monde fait par la science occidentale, notre rapport au monde et à l’inconnu et incompréhensible dans nos vies – roman qui, d’une écriture drôle et sensible, nous enlève du dessous de nos pieds les repères qui bercent notre quotidien.

Bastien Hauser: „Une singularité“, Actes Sud, France, ISBN 978-2-330-18951-8.