Réalité augmentée„Opera GO“: une chasse au trésor autour de grandes œuvres à Luxembourg-ville

Réalité augmentée / „Opera GO“: une chasse au trésor autour de grandes œuvres à Luxembourg-ville
Devant la Chambre des députés, il faut reconstituer l’ouverture de l’opéra „Il barbiere di Siviglia“ de Gioachino Rossini, comme le montre à l’écran Anne Simon Photo: Editpress/Alain Rischard

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C’est un projet original, à la croisée des chemins, qu’Anne Simon porte depuis deux ans et qui atteint son but ce 1er mars: une chasse au trésor opératique dans la vieille ville, au départ du bar „De gudde Wëllen“.

En 2022, Anne Simon adaptait „Richard II“ de William Shakespeare avec le compositeur new-yorkais Anthime Miller. Tous deux nourrissaient l’idée de faire sortir l’opéra des salles qui lui sont habituelles pour le rendre plus accessible. C’est devenu le projet „Opera GO“. Ils ont pensé déplacer l’opéra dans un bar et ont alors identifié „Songe d’une nuit d’été“ d’Ambroise Thomas comme point de départ idéal. Falstaff, Shakespeare et la reine Elisabeth sont les personnages principaux de cet opéra comique en trois actes, qui oscille entre faits historiques et fiction. Dans l’œuvre originale, lors d’une fête organisée pour célébrer son génie, Shakespeare boit plus que de raison et la reine Elisabeth, venue déguisée, se fâche contre ce penchant dangereux pour son talent. Elle l’entraîne alors, hors du bar, dans la forêt, pour lui faire peur.

„Pas trop de respect“

„On est venus assez rapidement à l’idée de passer aussi du bar vers l’extérieur, de raconter quelque chose de plus féerique, de plus exploratoire“, explique Anne Simon. Dans „Opera GO“, c’est la reine de la nuit de la „Flûte enchantée“ de Mozart qui se fâche parce que les deux invités ont tellement bu que tous les opéras en ont profité pour s’envoler. Ainsi, „Opera GO“ commence-t-il par un concert live au „Gudde Wëllen“, dans lequel on entend les deux opéras d’Ambroise Thomas et Mozart, soit la combinaison idéale d’une œuvre méconnue avec un opéra archiconnu qui sied à un projet qui veut rapprocher le grand public de l’opéra. „Au niveau du live, ce qui est intéressant, c’est que c’est un lieu qui n’est pas associée à ce genre et, d’autre part, que le public soit proche des chanteurs d’opéra“, ajoute Anne Simon. „Voir, dans l’immédiateté, l’énormité de ces organes, de ces instruments incroyables que sont les corps, est une chance rare.“

Les deux extraits d’opéra ont été réarrangés pour le bass baryton Jean Bermes et la soprano Marie-Christiane Nishimwe qui sont au chant, accompagnés par une femme-orchestre, en la personne de l’accordéoniste Natasa Grujovic. Le duo de chanteurs commence ensuite à entonner des chansons à boire luxembourgeoises, mais s’arrête rapidement, pour des raisons d’étiquette. Quand on fait de l’opéra, on ne se fourvoie pas à reprendre les litanies du peuple. C’est une forme de clin d’œil à la démarche d’Anne Simon, qui vient du monde du théâtre et s’empare d’œuvres que les gens du milieu peinent souvent à modifier. „Comme je ne viens pas de l’opéra, que je n’ai pas cette éducation, ça me facilite la vie de ne pas avoir trop de respect“, souligne-t-elle.

Cela permet de donner une impulsion pour regarder autrement la ville

Anne Simon, metteuse en scène

Il y a une quinzaine d’années, elle avait proposé un mini-opéra-pop-up dans un lieu public, sur un libretto de Nico Helminger. Cela commençait sur la terrasse d’un bar, par la simulation d’une bagarre. „Opera GO“ se veut une célébration exploratoire du génie de l’opéra. Après le concert d’un quart d’heure au „Gudde Wëllen“, les spectateurs partent dans la rue en quête de six stations qui sont six manières de célébrer des grandes œuvres. Ils y vont avec un smartphone et une paire d’écouteurs. A chaque station, une animation ludique en réalité augmentée est proposée autour d’un opéra. La démarche s’inscrit à la suite des soundwalks qui firent florès pendant l’année européenne de la culture à Esch. La dimension visuelle permet de développer une histoire moins en phase avec l’histoire du lieu mais qui joue à l’inverse davantage avec son architecture. Les deux démarches conjuguent en tout cas un même „désir d’exploration d’un endroit qu’on connaît ou croit connaître“. „Cela permet de donner une impulsion pour regarder autrement la ville“, explique Anne Simon.

„Créer des anomalies“

Ce sont des endroits qui se prêtaient à l’idée du jeu qui ont été sélectionnés. Devant la Chambre des députés, les participants à „Opera GO“ devront enjamber et sauter en suivant le dallage. On pourra croire que leurs grandes enjambées sont des parodies des gardes du palais grand-ducal voisin. Ils seront en fait en train de reconstituer l’opéra „Il barbiere di Seviglia“ de Gioachino Rossini, en remettant dans l’ordre ses parties en passant sur des dalles colorées par la réalité augmentée. „Opera GO“ est autant une éducation musicale qu’un élément de perturbation et d’interrogation sur les normes comportementales dans la ville. „J’aime créer des anomalies dans l’espace public, que ça touche d’autres personnes que les participants“, explique la metteuse en scène. „J’ai l’impression que cela peut réveiller nos regards.“

Il faut vraiment, très consciemment, mettre son scepticisme de côté, y croire pendant ce temps

Anne Simon, metteuse en scène

Sur une seconde station, c’est cette fois avec les différentes couches d’instruments qui composent „Les Walkyries“ de Wagner que l’on joue, en bougeant virtuellement, à travers l’écran, les trois grands vases décoratifs du palais de justice. Sur le chemin de chaque station, un audioguide propose une introduction au prochain opéra  – en plus des deux précitées, les autres stations sont dédiées à „Orfeo“ de Monteverdi, „Indes galantes“ de Rameau, „Dido and Aeneas“ de Henry Purcell et „Don Giovanni“ de Mozart. Au final, il faut finir les six stations et ramener les six badges attestant de la réussite de l’épreuve pour recevoir ensuite une médaille au „Gudde Wëllen“, offrant l’occasion d’une courte animation musicale de remise du prix.

„Il faut vraiment, très consciemment, mettre son scepticisme de côté, y croire pendant ce temps. C’est quelque chose de très enfantin“, explique la metteuse en scène et mère de famille. „Opera GO“ se prête à une visite en famille. Parce que la réalité augmentée fonctionne avec la lumière du jour. Parce que l’aspect ludique du projet est plus proche des enfants et l’opéra plus proche de l’univers parental. „Cela peut être une belle coopération entre les enfants qui apprennent les outils aux parents et les parents qui veulent initier leurs enfants à la musique classique“, imagine-t-elle avant d’ajouter: „Ça peut aussi devenir très fun dans une sortie entre copains.“ Le fan d’opéra peut aussi y trouver son compte, puisque les pistes audio qui accompagnent les animations sont des enregistrements très professionnels réalisés par Lucilin et le duo de chanteurs qui se produit au „Gudde Wëllen“.

Les projets interdisciplinaires deviennent intéressants au niveau du financement: comme on tombe dans plusieurs catégories, on peut aller chercher des sources de financement différents

Anne Simon, metteuse en scène

„Opera GO“ peut être vu comme une manière simple et peu énergivore d’ajouter un décor éphémère dans l’espace public. Le projet est aussi facilement transposable en d’autres endroits. Anne Simon songe aux écoles. Il faudrait pour cela enlever la partie live et transformer le début de la narration. „Opera GO“ est aussi un nouveau modèle de création, une production off à la croisée des genres et donc des financements. Tout a commencé avec une carte blanche du FIlm Fund pour l’aspect réalité augmentée du projet. „Les projets interdisciplinaires deviennent intéressants au niveau du financement: comme on tombe dans plusieurs catégories, on peut aller chercher des sources de financement différents“, explique celle qui a assuré la conception générale du projet, le choix des musiques, l’écriture des textes et la mise en scène des scènes en réalité augmentée réalisées par Kreativ Stuff. „C’est beaucoup plus de travail. Mais avec la situation qui est en train de changer économiquement, on ne peut pas se reposer sur un truc. Il faut penser les financements autrement.“ „Opera GO“ en est un bon exemple.

Infos

Le 1er mars à 15.00 h, puis les 2, 23 et 24 mars (à 15.00 h et 17.00 h) ainsi que les 10, 11 et 12 avril (à 18.30 h). Départ du „De gudde Wëllen“ (17, rue du Saint-Esprit à Luxembourg-ville). Entrée: 20 euros. Réservations: anne@volleksbuehn.lu.