Artistes entre Luxembourg et BerlinLeila Lallali: „Je suis toujours amoureuse du dernier tableau que j’ai peint“

Artistes entre Luxembourg et Berlin / Leila Lallali: „Je suis toujours amoureuse du dernier tableau que j’ai peint“
Leila Lallali: actrice et comédienne à Berlin Photo: Amélie Vrla

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En retournant à son activité de peintre, l’actrice Leila Lallali a trouvé une nouvelle source de puissance et créativité, une plus grande acceptation d’elle-même.

Dans l’appartement berlinois de Leila Lallali trône sa toute dernière toile, à la palette chromatique particulièrement vive et joyeuse: „Je suis toujours amoureuse du dernier tableau que j’ai peint. Pour moi, la dernière toile est celle qui exprime le plus qui l’on est, à ce moment précis de notre vie. Je peins dans mon appartement. J’aimerais avoir un studio, mais les prix ont explosé à Berlin, alors je me débrouille avec ce que j’ai. Le fait de ne pas avoir de studio ne me permet pas de travailler à plusieurs toiles en même temps, mais mon appartement est mon havre de paix, je peux y créer en liberté et en sécurité. Cela fait très longtemps que je peins, mais lorsque j’ai commencé à être actrice, mon emploi du temps ne m’a plus permis de m’y consacrer. Et puis j’avais le sentiment qu’il me fallait réévaluer la direction que je voulais prendre dans ma peinture. En 2020, lorsque la pandémie a tout arrêté, y compris les répétitions au théâtre et les tournages, j’ai pu reprendre ma pratique artistique pour voir où elle me mènerait, et ça a été incroyable, car un grand nombre de portes se sont ouvertes. Un chemin dont j’ignorais l’existence s’est dessiné devant moi. J’avais déjà vendu des tableaux, mais je ne connaissais rien au monde de l’art. Je postais simplement des photos de mes toiles sur Instagram, sans attente, et puis j’ai commencé à recevoir de super retours et tout s’est enchaîné. Je ne pensais pas que cela arriverait aussi vite.“

Au cours de la seule année 2023, les œuvres de Leila Lallali ont en effet été sélectionnées par des galeries à Hambourg (Qvartr), au Royaume-Uni (Artistellar) et à Los Angeles (Lobster Club), ainsi que par le BAAM, Berlin Affordable Art Market. En parallèle de sa carrière de peintre, Lallali a continué de se produire en tant qu’actrice pour différents projets audiovisuels (sous la direction de Filip Markiewicz, elle a notamment joué le manifeste „Pictures At An Exhibition“ à la Philharmonie de Berlin ainsi que l’installation-performance théâtrale „Euro Hamlet“, et tenu l’un des deux rôles phares de la série „Ladybits“ de Gintare Parulyte diffusée sur RTL …).

„J’ai la profonde conviction qu’on peut mener plusieurs activités artistiques de front. Je pense que plus on explore ses différentes facettes, plus on est complexe en tant que personne, et cela nourrit le processus créatif. Par exemple, les textes et les mots influencent ma pratique en tant que peintre: je commence souvent un tableau par son titre. J’ai un dossier entier comprenant des titres potentiels de toiles futures. Ils me viennent dans des situations étranges, lorsque les gens font des lapsus, ou que je comprends moi-même mal une phrase. J’aime que le titre raconte une petite idée de l’histoire, et que la personne qui regarde le tableau puisse compléter le reste. Par exemple, une de mes toiles qui est à présent chez un collectionneur à Hongkong, s’appelait: ‚Je suis allée à Naples et j’ai enlevé mon soutien-gorge.’ C’est absurde, ça ne veut pas forcément dire quelque chose, mais peut-être que la personne qui regardera le tableau se dira: ‚Ah, mais oui, c’est quand j’étais en pleine crise de la quarantaine! J’ai enlevé mon soutien-gorge et j’ai passé le meilleur week-end de ma vie!’ J’aime que chacun ait sa propre lecture, c’est une expérience personnelle.“

La dernière série de tableaux de Leila Lallali a pour motif les chaussures – de toutes les formes, styles et couleurs. Une façon de critiquer une société de plus en plus capitaliste, qui pousse à la consommation? „A mes yeux, mon art n’est pas politique, je ne cherche pas à faire passer de déclaration autour du capitalisme en tant que tel, en tout cas ce n’est pas ma première intention. Mais peut-être qu’inconsciemment, j’ai pu avoir cet élan qui me poussait à acheter des chaussures, ou des biens matériels, pour me sentir mieux – raison pour laquelle mon dernier tableau se nomme ‚Shoes To Cure Your Blues’. Et en cela je suis un reflet de la société dont je fais partie. Si je me mets à peindre l’objet de mon désir – les chaussures – plutôt que de m’en acheter, c’est d’une certaine manière une déclaration: oui, je suis victime des tendances présentes dans ladite société, mais je tente de les soigner à travers mon art. Mais je n’ai pas la mission de faire un manifeste autour du capitalisme ou de la question de savoir si l’on devrait consommer ou non.“

Quand je peins un tableau, les gens se fichent de savoir si j’ai pris des kilos pendant ma grossesse ou si ma coiffure correspond à leurs goûts

Leila Lallali, comédienne et peintre

Une autre série de toiles, „So Ripe It’s Almost Chocolate“, a pour sujet la façon dont le passage du temps transforme les fruits, les bananes par exemple, au point qu’elles deviennent noires comme du chocolat. Lallali a cette capacité de poser sur ce qui l’entoure un regard tendre et affectueux, de voir et saisir la beauté là où d’autres pourraient se focaliser sur le processus de dégradation. En évoquant le parfum et le goût du cacao dans cette série de tableaux, Lallali invite le spectateur à jouer de son imaginaire et de ses sens. „J’aime transformer ce qui n’est pas considéré comme attirant, comme désirable, en un objet de beauté que l’on puisse vouloir accrocher à son mur, qui fasse sourire, et qui conduise peut-être à se questionner sur ses préjugés.“

Le fait de cultiver sa propre pratique d’artiste visuelle et cette vision du monde positive et particulière a été salutaire à Leila Lallali pour faire face aux attentes, pressions et injonctions qui pèsent encore sur toute actrice: „Quand je peins un tableau, les gens se fichent de savoir si j’ai pris des kilos pendant ma grossesse ou si ma coiffure correspond à leurs goûts … Cela me donne une grande liberté et par conséquent beaucoup plus d’assurance et de confiance en moi – des atouts que je peux ensuite utiliser dans mon jeu en tant qu’actrice. Ma peinture m’a fait gagner en stabilité et m’a permis de mieux me définir. Peut-être que le fait d’être devenue mère joue aussi, mais je pense que ma peinture est une protection qui me permet de cultiver une relation saine avec le métier de comédienne. Je veux continuer à jouer. Mais si je ne décroche pas un rôle en particulier, je ne me définis pas par cet échec. On peut aimer ou pas ce que je peins, on peut avoir une opinion sur mes tableaux, mais personne ne va venir me dire: ‚Oh, vous devriez choisir plutôt cette couleur, ou prendre une toile plus fine, ou plus petite, ou …’ Ça donne de la force.“ Leila Lallali vit entre Luxembourg et Berlin, mais caresse depuis longtemps le rêve de s’installer un jour à L.A., une ville qui l’a toujours énormément inspirée, à laquelle elle se sent appartenir et où elle est désormais représentée par une galerie.

Toutefois, elle reste consciente des privilèges de sa vie en Europe: „L’une des choses que j’adore dans le fait d’être une comédienne à Luxembourg, c’est qu’il existe un véritable sens de communauté, une vraie loyauté et du respect entre les actrices. On s’entraide. Si je ne suis pas libre pour un rôle, j’appelle une amie actrice pour lui en parler. C’est le contraire de la mentalité compétitive qui prévaut dans ces milieux la plupart du temps. Cet état d’esprit est très précieux, il me donne un sentiment de sécurité dans un milieu qui exige par ailleurs une grande vulnérabilité.“

Leila Lallali a gagné en assurance. Elle fait désormais confiance à son intuition. Processus inhérent au parcours créatif, les erreurs lui apparaissent à présent comme une saine façon de se renouveler et de mettre sa création au défi: „Je suis moins dans ma tête, j’aborde mon travail de façon plus viscérale. Je suis guidée dans ma peinture par les émotions, plutôt que par la précision, le besoin d’être exacte ou parfaite. Je suis plus libre. Je n’ai plus autant peur de l’échec. Lorsqu’une toile me pose des difficultés, je ne remets plus toute ma raison d’être une artiste en question, comme je pouvais le faire auparavant. Je suis d’accord avec Bob Ross lorsqu’il disait: ‚Il n’y a pas d’erreur, juste de joyeux accidents.’ Parfois une erreur peut conduire à quelque chose de bien plus fort que ce qu’on aurait pu imaginer.“

Artistes entre Luxembourg et Berlin

Cet article fait partie d’une série sur les artistes luxembourgeois-es vivant à Berlin, par notre correspondante Amélie Vrla.