Artistes entre Luxembourg et BerlinMax Thommes: „Ce concept de la vie berlinoise très ouverte, c’est devenu un bien à vendre“

Artistes entre Luxembourg et Berlin / Max Thommes: „Ce concept de la vie berlinoise très ouverte, c’est devenu un bien à vendre“
Max Thommes est tombé amoureux de la capitale allemande Photo: Amélie Vrla

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Multidisciplinaire, Max Thommes exploite sa créativité débordante sur scène, dans sa musique, devant ou derrière la caméra, entre Luxembourg et Berlin, où il a élu domicile depuis près de vingt ans.

L’appartement de Max Thommes, situé dans le quartier de Neukölln, à Berlin, comporte un studio: „C’est là où j’écris, où je fais de la musique, où je suis moi-même. C’est mon lieu le plus créatif, quand je ne suis pas au théâtre. En tant que comédien, je trouve qu’il est très important d’avoir d’autres passions pour les moments entre les différents projets de théâtre ou cinéma.“ C’est dans ce studio que Thommes compose ses chansons, là qu’il a également écrit le scénario de son premier court-métrage. Sélectionné par l’initiative „Quickies“, lancée par le collectif Filmreakter, son film s’est vu octroyer 5.050 euros, comme les 12 autres projets choisis. Thommes s’apprête à le réaliser en mai, à Luxembourg: „C’est l’histoire d’un couple qui joue une fois par semaine au Lotto et part visiter le Nord du pays. Ils découvrent avoir joué les bons chiffres mais ils ont oublié leur billet de loterie dans une station essence. Le film se déroule dans cette station, dans un délire absolu (rires).“

Max Thommes habite Berlin depuis 2007: „J’ai toujours été attiré par cette ville. Il y a toujours eu un élan en moi qui me poussait à la découvrir. Je suis venu directement après mon bac, avec un groupe d’amis. On avait monté une exposition où je présentais des petits films – mais c’était surtout un prétexte pour passer trois mois sur place. Je suis aussitôt tombé amoureux de la ville, alors je me suis présenté à l’école de théâtre Ernst Busch, et j’ai été pris – un mélange de chance et de destin, je ne sais pas.“

En quête de son et de changements de rythme

En près de 20 ans sur place, Thommes a été témoin de la gentrification dont est victime Berlin et de la façon dont ce changement atteint l’esprit anarchique et punk de la ville: „Ce concept de l’esprit anar, punk, de la techno, de la vie berlinoise très ouverte, c’est devenu un bien à vendre. Maintenant la techno berlinoise est inscrite au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. On peut se dire: ‚Oui, c’est cool‘, mais de l’autre côté, est-ce que ce n’est pas pour en faire une franchise, pour la vendre? Et puis la techno vient aussi de Detroit, c’est là qu’elle a commencé. Elle a évolué à Berlin, c’est sûr, et c’est ça qui attire les touristes ici. Mais l’autoroute menace directement les clubs (les légendaires ://about blank et Else, entre autres, sont en passe de devoir fermer pour être remplacés par le tracé de l’autoroute A100, en construction, NDLR) – qu’est-ce que c’est que ce délire? La techno est-elle patrimoine culturel mondial simplement pour pouvoir organiser des festivals encore plus commerciaux, qui attirent encore plus de monde, et permettent de générer encore plus de fric?“

J’aime les clubs berlinois, car il y a peu d’endroits dans le monde où on peut fermer les yeux et danser pendant six heures sans s’arrêter. Ce sont des moments spirituels parfois.

Max Thommes, artiste multidisciplinaire

Artiste multidisciplinaire, Max Thommes utilise ses différents talents pour nourrir chaque aspect de sa création. Son sens du rythme et de la mélodie font ainsi partie essentielle de son métier de comédien: „Quand je suis sur scène, je suis toujours en quête de son. Je les cherche sur la scène ou dans ma tête lorsque je joue. C’est comme ça que je travaille. La corporalité, le rythme, les sons sont quelque chose dont j’ai besoin pour jouer. Un peu comme dans les films, où la bande-son vient souligner l’action. La plupart du temps, les gens ne la perçoivent pas, mais elle contribue à donner une atmosphère. Si je crée la musique d’une pièce, j’adore changer le rythme: parfois, pendant une scène, je lance un truc très rapide, un beat, juste pour voir comment les comédiens réagissent à ce changement. Ou je fais quelque chose de super lourd, très pesant. Les metteurs en scène avec lesquels je travaille savent que c’est ma façon de faire. J’aime beaucoup guider et changer les émotions ainsi, pendant les répétitions.“

En 2022, avec son projet Im_Schatten, Max Thommes faisait converger ses différentes passions pour servir une performance à la croisée entre danse, théâtre et concert: „On a fait cette grande performance avec un petit collectif. Au début, j’avais la vision d’une scène avec de la lumière et des corps, de la danse, mais je n’avais pas d’idée précise pour la chorégraphie. Avant de m’atteler aux textes, j’ai passé beaucoup de temps à chercher le son de la pièce avec Pascal Karier, batteur de Say Yes Dog, car c’était le fondement du spectacle. Une fois qu’on l’a eu, je me suis alors demandé ce qu’on pouvait faire avec les corps. C’est un autre angle d’approche.“

„Dans l’école que j’ai faite, on était une machine“

S’il a suivi une formation classique, Max Thommes trouve avant tout sens et jouissance aux créations collectives, qui lui permettent de donner libre cours à son abondante inventivité. „Parfois, c’est difficile d’être multifonctionnel pour un comédien, car la créativité n’est pas toujours ce qui est demandé lors des formations d’acteurs. Dans l’école que j’ai faite, on était une machine. Tu es là pour jouer le texte selon l’idée du metteur en scène, pas pour avoir des idées. Tu peux faire des propositions, mais le plus souvent c’est: ,Merci, mais non.‘“ Il rit. „Poubelle.“ On acquiert une super technique, mais ils nous la font entrer dans le crâne au marteau. Il faut s’en éloigner, ensuite. Certains comédiens qui ne prennent pas leurs distances se retrouvent cassés au bout de trois ans d’école, ils ne savent plus rien jouer.“

La pratique artistique où Thommes unit le plus naturellement son amour de la musique à celui du théâtre reste son projet musical, Das Radial, une forme d’alter ego dont il écrit les textes, compose les morceaux, qu’il incarne sur scène et dans les clips qu’il co-réalise avec soin, comme des courts-métrages. „Das Radial, c’est ma deuxième identité. Je joue un rôle qui est très proche de moi, il me vient très naturellement.“ Dans l’un de ses derniers clips, le beau Terror_Terrestris, Max Thommes incarne avec son personnage la dichotomie entre l’homme et la machine, dans un concept qui pourrait rappeler Blade Runner. „C’est un cyborg. Dans le clip, l’idée, c’est qu’une muse me donne un virus qui me transforme en machine.“ Il se dégage du morceau une nostalgie ample et poignante. Le personnage robotique, extraterrestre, radioactif, semble chercher désespérément la connexion dans la nuit berlinoise, malgré un corps de machine avec lequel il semble lutter, qu’il doit recharger pour ne pas s’écrouler.

Certaines personnes refusent catégoriquement la culture, l’ouverture, le changement

Max Thommes, artiste multidisciplinaire

Thommes, lui, puise parfois sa source d’énergie dans la danse: „J’aime les clubs berlinois, car il y a peu d’endroits dans le monde où on peut fermer les yeux et danser pendant six heures sans s’arrêter. Ce sont des moments spirituels parfois.“ Lors du LuxFilmFest dernier était présenté le long-métrage de Lukas Grevis „D’Land am Schiet“, dans lequel Thommes tenait le rôle principal, aux côtés de Marie Jung. „Lukas [Grevis], c’est un mec très ouvert à toutes les propositions. Il est super avec son équipe, ce n’est pas un réalisateur qui joue avec sa puissance. Le film avait un petit budget, on l’a tourné en huit jours! Et en plus de cela, Lukas a réussi à construire tout un projet autour : il avait sept stagiaires à qui il apprenait comment un tournage fonctionne, avec qui il s’interrogeait sur l’histoire, la réalisation. Non seulement Lukas tournait en très peu de temps, mais en plus il menait tout un projet social! C’était incroyable. Les stagiaires étaient tellement jeunes et motivés … C’est comme ça que la nouvelle génération de réalisateurs luxembourgeois va grandir et se révéler.“

„D’Land am Schiet“ traite de la peur de l’autre et du racisme dans une petite bourgade, des thématiques que Thommes avait à cœur d’aborder: „Je viens du Nord et ma mère était maire à Wahl (de 2018 à 2023) – elle est du partie écolo, ,déi gréng‘. Mais notre commune est celle qui vote le plus à droite de Luxembourg, alors la façon dont les gens se comportaient parfois avec ma mère était insensée. En tant que femme, aussi, ça a été très dur. Certaines personnes refusent catégoriquement la culture, l’ouverture, le changement. Et il y a eu l’affiche de campagne électorale de Sam Tanson qui a été prise pour cible par un tir … Comme je viens moi-même du Nord, c’était important pour moi de jouer dans ‚D’Land am Schiet‘, car le film décrit absolument la vérité.“

Série

Cet article fait partie de la série „Artistes entre Luxembourg et Berlin“, dans laquelle notre correspondante Amélie Vrla présente des artistes luxembourgeois-es vivant à Berlin.