Live de Mirwais„Taxi Girl est mort dans l’indifférence“

Live de Mirwais / „Taxi Girl est mort dans l’indifférence“
La chute d’un groupe mythique: Taxi Girl Photo: editions-seguier.fr

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„Le récit qui va suivre vous semblera parfois extrêmement confus.“ C’est avec ces mots que commence le préambule de „Taxi Girl, 1978-1981“, premier tome d’une trilogie annoncée („Le Show Business“), et récit par Mirwais d’une époque révolue, durant laquelle Taxi Girl, le groupe français mythique dont il fut le guitariste et compositeur, naquit, grandit, et mourut.

D’entrée, Mirwais annonce la couleur: le style de son récit sera résolument précipité, le rythme saccadé, il sautera d’une anecdote à une autre, mélangera les émotions aux souvenirs, les réflexions politiques (le sexisme et racisme avéré du milieu), historiques (la guerre en Afghanistan et ses conséquences directes sur la vie du groupe) et philosophiques aux scènes qui l’ont personnellement marqué: „Raconter cette débâcle exigeait d’emprunter la voie de la poésie et des techniques de cut-up littéraires.“ Son livre retranscrit le tourbillon dans lequel furent pris le groupe et ses membres phares, Daniel Darc, Laurent Sinclair, Stéphane Érard, Pierre Wolfsohn.

Mirwais, l’un des seuls membres encore vivants du groupe (photo: upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/9a/MIRWAIS_2023.png)
Mirwais, l’un des seuls membres encore vivants du groupe (photo: upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/9a/MIRWAIS_2023.png) Photo: Mirwais/Creative Commons CC-BY-SA-4.0

Né d’une mère italienne et d’un père afghan, Mirwais, né Ahmadzaï, l’un des seuls membres encore vivants du groupe, manie la plume avec rage et précision. Il y a dans son livre un souffle, une frénésie, un chaos prenant. Pour qui ne serait pas familier du groupe „after punk à tendance new wave“ selon Wikipedia, il pourra être parfois difficile de s’attacher en profondeur aux personnages. Peu de descriptions physiques, une relation qui passe avant tout par le regard et les réflexions de Mirwais, sans que se crée une réelle intimité entre le lecteur et les autres membres du groupe. C’est le propre de ce genre de récit autobiographique, dont l’intention première est de lever la lumière sur les excès, abus, espoirs déçus, fureurs d’une époque révolue, avec sa dose d’inconscience et d’égocentrisme, annonciatrice de notre présent. Mirwais nous entraîne dans le dédale de ses souvenirs et considérations sans filtre, dévoile la façon dont les managers, labels, hommes d’affaires en tout genre gravitèrent autour des musiciens de Taxi Girl, se nourrissant de leur créativité comme des sangsues, des parasites, des escrocs en costume doublés d’hypocrites.

Show Business avec deux „s“

L’auteur s’adresse directement à son lecteur, affirme puis se reprend („Non, je me trompe, les selfies c’est bien plus tard“), fait des retours en arrière, annonce les tomes de la trilogie à venir ou arrête net un chapitre sans que l’on comprenne toujours pourquoi. L’effet mosaïque, dans la structure du récit, donne parfois lieu à des répétitions que l’on pourra regretter („Show Business avec deux ‚s’ comme dans ‚SS’“), mais l’élan et la sincérité qui ne quittent jamais Mirwais participent à rééquilibrer le tout. Sa langue allie tournures orales et constructions plus littéraires, dans une démarche qu’il assume et revendique. Que l’on soit sensible à l’alternance passé simple/argot ou pas, Mirwais parvient à ancrer une voix, une vision, un discours. „Puisqu’on parle sans arrêt du ‚nombre minoritaire’, je souhaiterais exprimer mon point de vue. (…) Nous étions comme communauté musicale afghane en 1972 ‚un’, un seul. ‚Moi.’ En principe, rien ne vous arrivait de bon dans la France des années soixante-dix avec un nom et une situation pareils. (…) Mais je dois admettre que mon apparence physique d’homme blanc normal m’épargna à coup sûr d’avoir à subir l’ignoble injustice de la couleur de peau, sinon ça aurait été le suicide.“ Mirwais a également la particularité d’avoir décidé très tôt de ne plus toucher aux drogues, tandis que ses compagnons, accros à l’héroïne, descendaient aux enfers – une dépendance qui affecta profondément le groupe, et son échec.

Nous avons connu l’échec absolu, la chute vertigineuse iconique, qui n’est donnée qu’à très peu de groupes

Mirwais, guitariste et compositeur de Taxi Girl

On croise dans „Taxi Girl“ des personnages illustres tels les musiciens de Téléphone, Siouxsie and the Banshees, ou encore Lagerfeld. On décortique la „personnalité extrême et narcissique de Daniel ‚Dark’“, le chanteur du groupe, et l’on se voit livrer les secrets liés à la création de tubes légendaires, tels que „Cherchez le garçon“. Par certains aspects, „Taxi Girl 1978-1981“ pourrait faire penser à une collection de photos ramenées de voyage: certaines ont une qualité artistique indiscutable et intrinsèque; d’autres font office d’illustration historique, politique ou sociale; d’autres encore sont là pour faire sourire, pour surprendre ou immortaliser un moment particulier — même lorsqu’elles sont mal cadrées ou prises à la hâte. Chacune a une valeur en soi, mais tout le monde ne trouvera pas un intérêt égal à ces instantanés de vie.

Le récit de Mirwais a la forme et la véhémence d’une diatribe rageuse, narre sans filtre les espoirs caressés, gâchés, perdus d’un groupe qui fut nommé par certains „le meilleur du monde“. Mais dans ce cri se fait également entendre la douleur de Mirwais, qui éprouvait pour Taxi Girl des sentiments d’amour profond: „(…) j’étais le seul à vraiment l’aimer en réalité. (…) [T]ous étaient prêts à laisser tomber le groupe s’il y avait mieux à faire à la première occasion. Sauf moi, qui naïvement pensais qu’il n’y avait pas mieux et qu’il fallait partager la musique.“ Une histoire d’amour qui s’est terminée tellement mal, qu’elle en est devenue fondatrice, aussi bien qu’exemplaire: „Nous avons connu l’échec absolu, la chute vertigineuse iconique, qui n’est donnée qu’à très peu de groupes. Cette chute étant réservée en principe au ‚Club des vingt-sept’ ou à des grandes célébrités qui sont mortes en pleine gloire comme Kurt Cobain ou Jimi Hendrix. (…) Au contraire, Taxi Girl est mort dans l’indifférence. Cela nous confère un droit de cité dans l’histoire de la musique.“