LittératureMémoire animale

Littérature / Mémoire animale

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Pour son premier roman, l’autrice de bandes dessinées Marion Fayolle restitue l’épaisseur du monde rural, où nature et culture ne font qu’un. 

„Du même bois“ s’ouvre et se ferme pertinemment par un dessin, aux traits simples comme les gens dont il traite. D’abord, au début, sous une masure en pierre qu’ils portent sur eux, dépassent les jambes de deux couples, l’un jeune à gauche, l’autre ancien à droite, et au milieu les quatre pattes d’une vache. C’est l’allégorie de la vie rurale d’une famille de la moyenne montagne française, à la source de la Loire. „On nait dans le lit de gauche, on meurt dans le lit de droite, et entre-temps, on s’occupe des bêtes à l’étable.“ La vie pourrait se résumer à cette unique translation. „On travaille, on s’épuise et un jour on glisse vers l’autre bout.“ Mais cette vie réduite en quelques mots est un leurre, un trait d’esprit dont est friande la narratrice que fait parler Marion Fayolle. 

Cosmogonie paysanne

„De tout bois“ n’est pas un regard condescendant ni nostalgique sur un monde disparu ou en voie de disparition. Au contraire, il dit toute la richesse de ce monde à petite échelle. Le lecteur en mesure tout ce qui l’en sépare, mais est souvent amené à se rappeler comme il est proche. Dans cette cosmogonie paysanne, chacun porte cinq générations avec soi, les grands-parents des grands-parents y compris. On en appelle des enfants des petitous, pas seulement pour les airs de famille. „C’est pas toujours facile d’être un petit tout, d’avoir en soi autant d’histoires, autant de gens, de réussir à les faire taire pour inventer encore une petite chose à soi.“  „La gamine“, qu’on imagine être la mère de la narratrice, est de ces enfants qui y parviennent. Reconnaître une mappemonde dans la robe de la vache, la prédisposait au départ, tout comme le fait de préférer aux listes de tâches ménagères la consignation de ses rêves. Et c’est la cuisine de la mémé qui devient un „pays étranger“ où l’on parle une langue étrangère, le patois.

Ce qui frappe dans „Du même bois“, c’est comment la vie animale, la vie végétale et la vie humaine forment un tout interdépendant. La forêt, les animaux sont des sources d’inspiration, de comparaison. Les visages sont des fruits ou des animaux, les hommes des arbres. Le temps et les humeurs se ressemblent et conjuguent même leurs effets, la pluie et les larmes, l’orage et la colère. C’est un monde où l’on côtoie la mort, celle des animaux pour mieux accepter celle des humains, où l’on apprend à vivre avec les silences qui tiennent lieu de discours. Marion Fayolle raconte tout cela dans un texte tendre et drôle; avec un regard qui sait s’émerveiller.

„Du même bois“ pourrait être à la littérature ce que les écrits tout aussi indispensables de Philippe Descola sont à l’anthropologie, le rappel qu’il fut un monde où nature et culture s’entremêlaient avec tout le respect mutuel que cela impliquait. Et que cet écrit invite, sans le dire, à faire perdurer.