BiennaleLe Luxembourg représenté par un art sonore et collectif – Une auberge espagnole à Venise

Biennale / Le Luxembourg représenté par un art sonore et collectif – Une auberge espagnole à Venise
De gauche à droite: Martina Genovesi, Juliane Seehawer, Alessandro Cugola (Every Island), l’artiste Andrea Mancini, le ministre Eric Thill, Caterina Malavolti (Every Island), Joel Valabrega (curatrice)  Foto: Editpress/Julien Garroy

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Le Pavillon luxembourgeois à la 60e Biennale de Venise brouille les notions d’auteur et d’appropriation, telles qu’on les entend habituellement, pour délivrer un message d’hospitalité et de partage. 

L’art sonore dans l’art contemporain, comme la danse dans le spectacle vivant, a pour vertu de proposer une expérience directe, d’éveiller l’émotion avant la pensée. En conséquence, mettre des mots sur des sons pour les donner à entendre, comme sur des mouvements pour les donner à voir, n’est pas une mince affaire. La tâche se complique quand les sons ne sont pas encore audibles. Alors, durant la présentation du futur pavillon luxembourgeois pour ce qui sera la 60e Biennale d’art de Venise (à partir du 20 avril prochain), „A Comparative Dialogue Act“, mis en œuvre par l’artiste sonore et musicien Andrea Mancini et le collectif d’architectes de l’espace Every Island, c’est de concepts et de valeurs qu’il fut surtout question. 

Et ceux et celles qui font l’originalité du projet luxembourgeois sont loin d’être neutres. Le plus important, la remise en cause de l’autorat, fut un sujet de discussion lors de Dokumenta 2022 – la curation y étant assuré par un collectif, il n’y avait pas de commissaire pour endosser la responsabilité d’une pièce dénoncée comme antisémite – mais est également un souci très fréquent chez les jeunes artistes. „A Comparative Dialogue Act“ veut ainsi „[bousculer] le concept établi d’auteur comme artiste individuel en présentant un ensemble d’œuvres où les artistes se dessaisissent de leur ego au profit d’une exploration approfondie de la créativité collective à travers le médium du son“. 

Bibliothèque sonore

L’idée est de transformer l’espace de la salle d’armes qu’occupe depuis trois ans le pavillon luxembourgeois, en espace de production durant toute la durée de la biennale. Quatre artistes y sont invités à y produire des performances. Mais ils ne créeront pas leur propre œuvre: d’abord parce qu’ils utiliseront des échantillons sonores, représentant leurs démarches respectives, que chacun aura au préalable déposé dans une librairie sonore. Ces bibliothèques sonores figureront d’ailleurs dans l’espace d’exposition sous la forme de parois amovibles avec lesquelles chaque artiste pourra jouer. Ensuite, les œuvres, que ce soit les productions de résidences ou les bibliothèques, seront „redirigés et réintégrés en continu“, pour dépasser encore un peu plus les notions d’auteur et d’appropriation. C’est aussi, enfin, la barrière entre artiste et public qui est diluée, puisque ce dernier sera encouragé à des moments d’appropriation des outils de la performance. 

Le projet conçu par l’artiste sonore Andrea Mancini et le collectif d’architectes Every Island basé à Bruxelles comme lui, s’inscrit sous ces angles, en rupture assez radicale avec le travail de Tina Gillen, qui représentait le Luxembourg en 2022. „Dans une ère définie par la technologie, la vitesse, nous voulons attirer l’attention sur le collectif et le processus créatif“, a expliqué la membre du jury et curatrice de l’exposition, Joel Valabrega, qui dans ses fonctions au Mudam est en charge de la performance et avait collaboré avec l’artiste sonore Tarek Atoui. Si présenter un projet relevant des arts numériques peut paraître audacieux, c’est surtout l’adéquation avec les préoccupations contemporaines de la scène artistique qui ont motivé le choix du jury. „Faire société, c’est vivre avec le rythme des autres“, a pour sa part souligné, en citant le poète Henri Michaux, Hélène Doub, responsable des arts visuels chez Kultur:lx, structure en charge pour le ministère de la participation à la Biennale. „On peut souffrir du rythme des autres, mais on peut aussi choisir d’être en parfait accord.“

La directrice du Mudam, Bettina Steinbrügge, a inscrit ce projet à la suite d’autres idées innovantes dont le Luxembourg a pris l’attitude depuis sa participation à la Biennale à partir de 1988, notamment ceux de Bert Theis et de Su Mei Tse (qui a remporté le Lion d’or en 2003). Elle a estimé que la dimension internationale du projet offrait „une expérience essentielle en ces temps de division“, mais aussi que „la pensée collective et l’ouverture au-delà des frontières sont des valeurs véritablement européennes et luxembourgeoises que nous devons offrir au monde de l’art international“.

Quatre artistes étrangers

C’est après la sélection d’Andrea Mancini et d’Every Island que le thème de la Biennale fut connu: „Foreigners everywhere“. Voilà qui se trouvait en droite ligne avec un projet luxembourgeois qui veut accueillir en son sein quatre artistes émergents, qui proposent des recherches qui sont aussi au cœur des préoccupations artistiques de notre époque. Ainsi, la musicienne et performeuse espagnole Bella Bùguena – non binaire et trans – évolue-t-elle dans le domaine des identités de genre. Elle „tisse des sons inspirés par l’intuition, l’intention et un répertoire d’influences allant de la culture pop à son expérience personnelle“. La seconde artiste invitée à performer dans le pavillon luxembourgeois est l’artiste française transdisciplinaire Célin Jiang, qui propose une approche relevant du „cyberféminisme décolonial“. Elle interroge l’identité „dans une esthétique transculturelle“. L’artiste turque Selin Davasse réalise pour sa part „des performances fondées sur la recherche, réaffectant des techniques littéraires et performatives disparates afin de concevoir des passés et des présents alternatifs, et des avenirs spéculatifs“. Quant à la quatrième artiste, la Suédoise Stina Fors travaille sur la chorégraphie, la performance, les percussions et la voix, afin de plonger dans les profondeurs de ce qu’elle appelle „le corps sonore“. Chanteuse d’un groupe de punk dont elle est l’unique membre et visible seulement en live, elle libère une voix puissante „entre violence meurtrière et séduction“. 

Les artistes sont invitées à interagir avec les quatre murs sonores, montées sur roues, à les bouger comme ils le veulent. Les murs sont les outils de la performance. Et quand il n’y a pas d’artistes, les murs jouent la bibliothèque de sons. Ils peuvent diffuser ensemble en boucle une pièce sur chacun des murs ou alors des pièces différentes en interférence les unes avec les autres. Le titre „A Comparative Dialogue Act“ veut traduire cette logique d’un échange à plusieurs niveaux entre langages acoustiques variés. Il y aura aussi un rendu visuel, conception d’un alphabet collectif idiosyncrasique, „fondé sur des textes émanant de toutes les personnes impliquées dans le pavillon, dont les artistes et la commissaire“, qui ont servi à concevoir l’affiche comme le sol du pavillon. L’ensemble des pièces fera l’objet d’une édition en vinyle, publiée à la fin de la Biennale d’Art 2024, tandis que le Mudam réfléchit aux moyens d’accueillir la pièce après l’événement.

Pour sa première conférence de presse en tant que ministre de la Culture, Eric Thill a rappelé toute l’importance de participer à la Biennale d’art de Venise, comme le fait le Luxembourg depuis 1988 et comme il a prévu de le faire lors de la signature d’une convention en 2017 pour vingt ans. „La promotion de la scène culturelle luxembourgeoise à l’étranger est et reste une des priorités dans cette maison“, a expliqué le ministre. „C’est toujours une chance immense, une grande opportunité pour notre pays de montrer au monde nos valeurs, ce qui nous constitue.“