Hans Hartung: Genèse d’une résistance

Hans Hartung: Genèse d’une résistance

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Le Musée Zervos, à Vézelay (F), merveilleux site classé au patrimoine mondial de l’humanité, accueille l’œuvre de Hans Hartung, plus particulièrement celle de la période de la Seconde Guerre mondiale avec ses zones d’incertitudes en amont.

De notre correspondente Clothilde Escalle

Il s’agit d’une époque particulièrement singulière et noire pour l’artiste allemand, né en 1904 à Leipzig, naturalisé français en 1946, et décédé en 1989 à Antibes. Cette période porte en germe son oeuvre, comme ses cahiers où il dessinait lorsqu’il était jeune. Fracassante, hachurée, d’une liberté relative, offrant une vision introspective, elle ouvre l’espace à l’écho du fracas, avec un sens fort de l’abstraction et d’un équilibre jamais compromis.

Après avoir poursuivi ses études à l’université de Dresde, puis de Munich, voyagé en Europe avec son épouse, le peintre Anna-Eva Bergman, il s’installe au cœur de l’avant-garde artistique à Paris en 1935. Mais étant allemand, créant un „art dégénéré“ selon les nazis, il est contraint de s’exiler.

Hans Hartung s’engage dans la Légion étrangère en 1939. Les péripéties s’enchaînent, il se cache en zone libre, fuit en Espagne, revient combattre le nazisme en 1944. Brancardier, il est blessé et amputé de la jambe droite. Pendant ces années-là, il divorce de sa première femme – qu’il retrouvera par la suite pour un second mariage – trouve refuge en zone libre, dans le Lot, chez le sculpteur Julio González, dont il épousera la fille, Roberta.

Père de l’abstraction

Il n’en continuera pas moins de créer, retrouvant parfois cette force fondatrice qui a fait de lui le père de l’abstraction. Taches, traits, rayures, envolées, ou au contraire dentelle d’un dessin précis et léger, hommages à Picasso pour de multiples têtes qui sont comme autant de cris, formes précises, élégantes et aériennes, posant un espace particulier.

Hartung dit de cette époque: „Mes dessins étaient traversés de traits entortillés, étranges, embourbés, désespérés, comme des griffures (…) Comme une peinture véhémente, révoltée. (…) A part quelques Français qui avaient été mobilisés, les autres peintres avaient tous passé la guerre réfugiés quelque part. Ils n’avaient cessé de travailler, de progresser.“ Précisons que le critique d’art et éditeur français, d’origine grecque, Christian Zervos lui a offert son aide précieuse pour sortir d’Allemagne en 1935, lorsque Hartung était inquiété par la Gestapo, par une lettre qui lui a servi de sauf-conduit. Il a également appuyé l’artiste lors de sa demande de naturalisation.

Un fil jamais rompu

Cette exposition constitue le témoignage d’un fil jamais rompu, d’une œuvre exigeante, même au plus profond du doute, de l’angoisse, des ténèbres. Elle s’affranchit du réel, tout en portant les stigmates du temps. Dans les années 1938-1939, les masses sombres occupent un espace fermé, elles sont menaçantes, lourdes. Le contraste lumineux les rend plus menaçantes encore, éclairées de l’intérieur.

L’ornementation minutieuse de traits légers accentue le contraste. Aucune anecdote là-dedans, simplement une nécessité, à laquelle se rallient les têtes d’Hartung, créées pour „faire plaisir“ aux proches. Elles n’en portent pas moins, dans leur simplification qui rappelle l’influence de Picasso, une détresse mutique. Mais malgré cette influence, ces têtes fortement structurées ne forcent pas la liberté d’une décomposition cubique – comme l’aurait fait Picasso.

L’une d’elles, un ensemble de taches sur un fond sombre, montre bien que Hans Hartung se situe ailleurs. Autre influence, celle du sculpteur Julio González. Pendant ces années de guerre, qui mettent à mal les conditions créatrices du peintre, Hartung s’en inspire. Il s’approprie la sculpture légère, élégante, parfois teintée d’humour de González, pour des peintures d’objets flottants et indéfinissables, qui semblent surgir des ténèbres avec une certaine placidité.

 Une question d’expérimentation

Là aussi, il est question d’expérimentation, de l’alliance du volume et du vide, d’un espace méditatif, par des formes figées. Sur un fond sombre, la légèreté vient en partie des aplats de couleurs claires et presque tendres. Nous connaissons Hartung pour sa „fureur“ contrôlée, cette abstraction qui fait se chevaucher des surfaces comme autant de tentatives d’expression. Lignes saccadées, tourbillonnantes, qui viennent griffer la couleur, côtoyer la légèreté d’un dessin comme en filigrane. Lecture de multiples abécédaires.

Expressivité et contrôle, force du geste et retenue, larges aplats, taches de couleurs et contrepoints créés par des formes colorées et géométriques plus fines – telle est l’ampleur de l’œuvre de Hans Hartung. Annonciatrice de modernité, usant de matériaux pauvres, comme la peinture industrielle utilisée par d’autres peintres par la suite. Fractures, cassures, sur un champ empreint de mélancolie.

L’exposition s’achève magnifiquement par des œuvres de petit format qui portent en elles une puissance infinie. Hartung, au sortir de ces années noires, peut enfin reprendre la création dont il n’a cessé de cultiver la flamme, avec le peu de moyens et de temps à sa disposition. Cette exposition est remarquable.